Les eaux au large du Mozambique sont en train de devenir un hotspot en matière de sécurité dans l’océan Indien occidental. Le 24 mars, des militants liés au groupe Al-Sunna ont mené une sanglante embuscade dans la ville côtière de Palma, dans la province de Cabo Delgado. Au cours de l’attaque, des douzaines de travailleurs étrangers et des habitants ont été assiégés à l’hôtel Amarula Palma, tandis que des dizaines de personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées.
Étant donné la dépendance du Mozambique vis-à-vis de ses eaux, la sécurité maritime est fondamentale pour le développement pacifique du pays et de ses voisins régionaux. À mesure que les installations ferroviaires et portuaires se développent dans le pays, la sécurité du canal du Mozambique est cruciale pour le commerce intérieur et celui de toute la région, d’autant que les ressources minérales de la Zambie, du Malawi et du Zimbabwe sont acheminées par ce couloir. En effet, la richesse et la croissance économique des pays enclavés à l’intérieur du continent sont liées à la stabilité et à la croissance du Mozambique et dépendent donc d’un environnement de sécurité maritime stable.
Aujourd’hui, le risque le plus grave pour la sécurité maritime du Mozambique émane de territoires terrestres mal gouvernés. En particulier, la violente insurrection en cours dans le nord continue à perturber les affaires maritimes ; ce conflit a été initié par des groupes issus des communautés musulmanes de la côte swahilie, en 2017. À ce jour, les insurgés auraient organisé plus de 800 attaques distinctes à travers le nord du Mozambique, faisant au moins 2 600 morts et provoquant le déplacement de plus de 600 000 personnes. En 2020, on a assisté à une forte escalade des affrontements armés, accompagnée d’un nombre croissant d’attaques contre les infrastructures maritimes, notamment la prise du port de Mocimboa da Praia. En janvier 2021, en réponse à l’escalade de la violence des militants d’Al-Sunna, Total a commencé à déplacer une partie de ses opérations logistiques du nord du Mozambique vers l’île de Mayotte dans le canal.
La décision de Total illustre les défis croissants auxquels sont confrontés les investisseurs étrangers dans la région. La présence d’Al-Sunna est susceptible d’entraîner des investissements plus importants dans les services de sécurité pour protéger les installations d’extraction et de traitement du gaz, ce qui aura un impact sur la sécurité des navires (entraînant une augmentation des taux d’assurance) ainsi que sur les routes commerciales côtières des dhows entre le Mozambique et la Tanzanie. L’utilisation de ces bateaux constitue une méthode ancienne et peu coûteuse de transport de produits agricoles et autres denrées entre les communautés, en l’absence de liaisons et d’infrastructures de transport terrestres adéquates. L’insurrection étouffe ce commerce, entraînant une pauvreté accrue, qui pourrait perturber et/ou arrêter les activités de pêche commerciale le long de la côte sud de Pemba.
Al-Sunna tire parti de la pauvreté et de l’instabilité des conditions socio-économiques sur les côtes ainsi que des capacités limitées des patrouilles maritimes mozambicaines, pour exploiter la mer,. En effet, l’instabilité politique et économique à terre encourage souvent les groupes armés à mener des attaques maritimes plus sophistiquées, surtout lorsqu’il devient évident que le vol de cargaisons, la saisie de navires et l’enlèvement d’équipages contre rançon sont des moyens extrêmement lucratifs pour financer leurs opérations. De manière alarmante, le canal du Mozambique partage des caractéristiques de précarité similaires à celles du golfe d’Aden au début des années 2000 : les cibles potentielles ne manquent pas, puisque plus de 5 000 pétroliers et plus de la moitié du commerce total de marchandises des 16 États membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) transitent par le canal chaque année
Bien que l’insurrection constitue principalement un problème de sécurité nationale propre au Mozambique, la violence a déjà débordé sur les régions frontalières de la Tanzanie. Il est trop tôt pour émettre des hypothèses, mais si l’insurrection dans la province de Cabo Delgado devait s’étendre au niveau transnational et dégénérer en actes de piraterie, les compagnies maritimes seraient contraintes de modifier les routes maritimes et de contourner Madagascar pour éviter la zone, ce qui aurait un impact sur le calendrier des escales portuaires non seulement au Mozambique mais aussi en Afrique du Sud. Cela pourrait avoir un impact significatif sur le commerce de pétrole brut vers la région de l’Afrique australe, l’Amérique latine et l’Europe, car les très gros transporteurs de brut ne pourront pas transiter par le canal de Suez et seront donc obligés de descendre le canal du Mozambique et de contourner la Pointe du Cap pour atteindre d’autres ports internationaux. La plupart des importations de pétrole et des échanges commerciaux de l’Afrique du Sud avec l’Afrique de l’Est, le Golfe, le Pakistan et la côte ouest de l’Inde passent par cette route maritime vitale, tout comme les échanges avec les pays plus à l’est qui passent par Maputo ou Durban. Les partenaires internationaux ont tout intérêt à empêcher l’insurrection de déborder sur le domaine maritime. Il y a dix ans à peine, la piraterie somalienne a déclenché une militarisation coordonnée des eaux au large de la Corne de l’Afrique et dans le golfe d’Aden. Dans les conditions actuelles, et compte tenu des risques croissants dans le canal du Mozambique, la communauté internationale doit surveiller de près la situation, afin de se prémunir contre une insurrection maritime perturbatrice.
Les opinions exprimées dans le présent article sont celles de l’auteur et ne coïncident pas nécessairement avec les vues ou les politiques de l’Union européenne ou de ses membres.
Photos de: The Wall Street Journal